Erevan est loufoque

19 juillet 2015

De retour de Gorsi, je sors du métro Place de la république à Erevan. Ce grand espace ceinturé de bâtiments imposants est d’habitude peu animé en début d’après midi, il est 14h. Ce n’est pas le cas aujourd’hui une clameur s’élève de l’autre coté du boulevard c’est inhabituel, sans que je puisse en deviner la raison qui d’ailleurs m’importe peu, je verrais ceci après mon installation à l’hôtel. Il fait chaud et j’aspire simplement avant toute chose à me rafraichir sous la douche. A peine que cette pensée s’échappe de mon esprit que subitement un flot d’eau fraiche me tombe sur la tête, accompagné d’un bruit liquide caractéristique d’une bassine qui se renverserait par accident. La flotte me dégouline du crane aux chaussettes en passant sur les épaules, s’infiltre sous la chemise, suit la colonne vertébrale et se faufile dans le pantalon. C’est presque agréable mais suis-je victime d’un acte d‘hostilité envers l’étranger que je représente ? Non, il s’agit d’une salutation de bienvenue que m’adresse un jeune homme hilare qui se présente devant moi tenant à bout de bras un seau de plastique rouge duquel s’écoule encore un mince filet d’eau se répandant sur le sol. C’est lui, à la chemise bleue, qui malicieusement s’est faufilé dans mon dos pour accomplir son forfait.

Ce plaisantin et sa bande de potes se torde de rire, chacun secouant son récipient vide, un véritable gag de Tex Avery. C’est vrai que je dois avoir l’air d’un plouc dans l’état ou je suis, trempé, avec le soleil reluisant sur le plastique mouillé ma valise rouge brille bien plus que moi. Le ridicule ne tue pas. Les réflexes de survie prennent vite les choses en main, en quelques secondes j’évalue mentalement les dégâts possibles. L’intérieur de la valise devrait être sauf, l’eau n’a fait que glisser, le sac photo est épargné car il pendait sur ma hanche gauche, le vandale a commis son méfait côté droit. Je sors précipitamment le passeport que je porte pendant les déplacements autour du coup, indemne. Les drams (monnaie locale) dans le porte feuille sont touchés, je n’en fais pas un drame, quelques minutes au soleil suffiront à leur redonner leur valeur. Je pose mon sac, range le précieux document République Française à sa place et je fixe du regard les énergumènes plantés devant moi au milieu de la flaque d’eau. L’air penaud ils ne se marrent plus, ils ont compris qu’ils avaient accomplit une gaffe. A mon tour de rire, ils sont dans le même état que moi, pire car de l’eau dégouline de partout, il en sort même de leur poche et quand ils piétinent le sol leurs souliers émettent des bruits de batraciens.

« Today it’s the water day, sorry » tiens il parle anglais le seau rouge, le pauvre à l’air tellement empêtré avec sa bêtises que je rigole à mon tour, l’orage est passé.

J’ai compris, le 12 juillet c’est la fête de l’eau, le véritable nom de cette journée étant « Vardavar », une vieille coutume religieuse que l’Arménie veut faire classer patrimoine culturel immatériel par l’Unesco. Après des explications amicales je reprends mon chemin, il n’aura fallût que de quelques minutes pour sécher. Mais sec je redeviens une cible et plouf de nouveau, chaque coin de rue est une embuscade, stoïque je continue mon chemin l’hôtel n’est est à la prochaine intersection. Malgré mon état le grand dadais de l’accueil me reconnait, il n’a pas reçu ma réservation, l’hôtel est complet, je fais demi-tour et comme un batracien je laisse derrière moi une flaque d’eau. Dans ces cas là il ne faut jamais se décourager, les chambres ne manquent pas, au bout d’une heure par l’intermédiaire d’un autre hôtel je me retrouve dans un studio de 25 m2 tout proche. Le prix dépasse un peu mon budget, je ferai des économies ailleurs. Je range passeport et argent dans un tiroir, enfile un tee-shirt et protège mon canon dans un sac plastique avant de me jeter à l’eau place de la république l’épicentre de cette manifestation à cause de la grande fontaine devant le musée d’histoire du pays. Quel changement de comportement, ces gens qui sont si sérieux d’habitude, c’est donc vrai le peuple a besoin de jeux. Ce sont surtout des jeunes gens, filles et garçons qui traquent et pourchassent les personnes encore épargnés, c’est-à-dire plus grand monde. Toute cette eau répandue offre à la lumière déclinante du soleil des surfaces réfléchissantes. Les vêtements mouillés se collent au corps, les dessous féminins se révèlent au public, les garçons ont ôtés les chemises, la pudeur est mise de côté pour une journée. Oh, nous sommes loin des concours de tee-shirt mouillé à Miami, ce n’est pas tout à fait la même « civilisation ». A 19 heures il ne reste que les militaires et les policiers encore présentables. Paris ne manque pas de fêtes, de la musique, le 14 juillet, la nuit blanche mais nous n’avons pas d’équivalent loufoque du genre Vardavar. Vraiment ce délire m’a plu.

erevanb23

Musée des manuscrits anciens le Matenadaran

Pour la fin de ce séjour dans le Caucase, j’ai choisi de me poser trois jours à Erevan que je vais consacrer à deux musées : le Matenadaran, les manuscrits anciens, une histoire de plusieurs siècle commencée dans les monastères qui continue ici dans ce bâtiment élevé sur une colline en 1957. L’Arménie n’a de cesse de retrouver tous les manuscrits qui ont pu être sauvés des destructions ennemies, extraordinaire pour moi qui aime les vieux papiers. Le deuxième, chaque pays possède le sien, le musée historique. J’avoue qu’une seule pièce maitresse motiva cette visite : la plus vieille chaussure en cuir du monde découverte en 2008, elle a 5500 ans. Cela ne vous impressionne pas ? Chacun prend son pied comme il le souhaite. Evidemment que j’en ai profité pour m’instruire sur ce pays, je voulais en savoir un peu plus que Charles Aznavour et l’horrible génocide.

Puis j’ai consacré une journée à l’architecture des années 80, allez voir dans l’album Erevan la salle de spectacle.