Café à l'Atlantique
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Comme si j’allais au boulot, un matin normal d’avant : J’attends le bus 26 à « Alsace Lafayette » l’arrêt le plus proche de la gare de l’Est, chez moi. Aujourd’hui je ne porte pas ma mallette de bureau je traine une valise. Je descends gare St Lazare, pendant des années j’ai pris mon café à 7h00 au bar l’Atlantique en compagnie d’autres besogneux matinaux, un bistrot juste en face d’une entrée sur les quais. Quelques minutes le temps de lire les titres des journaux et chacun prenait son cap dans son train de banlieue, moi c’était La Garenne-Colombes.
Le « petit noir serré » sur le zinc de l’atlantique ce rituel dura quinze ans. Puis le 26 changea de trajet, il dépose maintenant ses passagers ailleurs. L’Atlantique ne se trouvait plus sur la route du boulot. Aujourd’hui je ne vais pas à La Garenne-Colombes. J’ai du temps. Je fais ue détour par ce café ou encore endormi je laissais naviguer mes derniers rêves maritimes avant d’échouer dans l’open-space de bureaux. Pourquoi cette enseigne en plein Paris ? C’est de St Lazare que partaient les trains vers la porte océane. Sur les flancs bâbord et tribord des wagons le nom du vaisseau indiquaient aux voyageurs des Amériques leurs voitures. Que d’histoires ont dues se dérouler sur ces quais. Gare de l’Est, Gare St Lazare, le Havre, des milliers d’immigrés prirent ce chemin pour le continent d’en face. Il y eu même un hôtel Transatlantique, tout près de chez moi, rue des deux gares, réservés aux voyageurs venant de l’est allant vers l’ouest. J’en suis aujourd’hui, un siècle plus tard, mieux vaut tard que jamais.
8H53, ce voyage commence dans un compartiment SNCF. Les conditions sont réunies pour une conversation agréable entre passagers. Nous échangeons ces histoires éphémères que l’on ne raconte qu’à des gens que l’on verra qu’une fois dans sa vie. 11H10, le train s’arrête sur les butoirs du Havre. Je trouve la ville petite, je suis habitué aux métropoles, à pied j’arrive rapidement à l’hôtel. Il fait froid, il vente, il pleut, les oiseaux marins planent au ras du sol. Cette ambiance glauque me convient, c’est l’hiver au bord de l’océan.
Mon premier passage au Havre remonte à loin, très loin. Attaché à une amarre le paquebot France y pourrissait encore en attendant son sort, c’était à la fin des années 70. Je n’ai pas gardé de ces mois passés au Havre le souvenir d’une belle ville mais celle d’un port menacé d’un déclin prévisible. Cette gigantesque carcasse rouillée du France honteusement abandonné à la vue de tous comme un pendu au gibet l’annonçait. Début des années 90 j’y suis revenu une journée récupérer au port une Chevrolet bel air 1958 achetée au Mexique, une sacrée bagnole, un peu gourmande. Le France n’était plus là, il n’était plus France mais Norway et refit une seconde carrière sous d’autres couleurs avant de finir dépecer en vulgaire ferraille recyclable. Qui sait, peut-être que vous en avez un bout chez vous sans le savoir. La ville ne me parût pas plus sympa, encore plus sinistrés certainement. Hélas, j’avais vu juste lors de mon premier séjour. J’ai remis de l’essence dans la Chevrolet, démarré le V8 et je suis parti. Beaucoup d’années ont blanchi mes cheveux et affutés mes observations, aujourd’hui c’est différent. Je suis le gamin de la campagne qui va accomplir ce qu’il a envie depuis longtemps : embarquer sur un cargo transatlantique et traverser cet océan si grand sur la carte du mur de l’école. Mes rêves maritimes de tous les cafés avalés rapidement les matins au bar atlantique m’attendent au port et ils ont un nom : CMA CGM CAYENNE. Je dois embarquer demain 2 février sur ce porte container. En attendant il me faut passer 24 heures ici alors autant en profiter et s’intéresser à la ville. Détruite par des bombardements, il a fallu reconstruire vite et bien. Ce que je n’avais ni vu ni compris lors de mes précédents séjours se dévoilent maintenant à mes yeux. Le travail accomplit par l’architecte Perret est maintenant un modèle du genre, plusieurs monuments sont classés monuments historiques, dont la cathédrale de béton armée St Joseph.
Son clocher hisse une croix visible de loin. A-t-il pensé à un phare pour guider les âmes des marins perdus en mer ? La maison du patrimoine avec son appartement témoin est fermée pendant cette saison, je comprends les touristes ne remplissent pas les rues en février. Je me rebats sur la visite de la maison de l’armateur en bordure du port, un vestige du 18 et 19e siècle. Une belle demeure modeste comparée au palais parisien des fortunes parisiennes à la même époque. Aujourd’hui les armateurs sont de grosses compagnies financières. Les hélices de leurs cargos rayent les mers du monde entier et rapportent de bons bénéfices aux actionnaires. La quantité de marchandises qui flottent sur les océans est énorme, si l’on assemblait tous les containers transportés cela ferait un nouveau continent en ferraille.
L’architecte brésilien Niemeyer est passé par ici, il a laissé au bout du bassin du commerce en plein centre ville un volcan, surprenant mais pas vilain. Ce truc abrite aujourd’hui une médiathèque. Les lecteurs se prélassent comme sur le pont d’un navire. L’ancien immeuble de la compagnie transatlantique est toujours à flot au 89 boulevard de Strasbourg. Ses étages servent de cabines au conseil régional. Rien sur sa façade ne laisse deviner son passé maritimes à part deux poissons dans un bas relief.
Jadis le grand port du Havre profitait à la ville, on dénombrait des centaines de bars à marins dans le quartier St François. Il n’est pas difficile d’imaginer l’ambiance à la belle époque. Les équipages dépensaient leurs argents après des semaines en mer dans des cabines exigües sans aucune distraction. Alors ces mâles virils tatoués lâchés quelques heures dans des rues remplies de bars et jolies filles animaient les rues. Brel leur a si bien rendu hommage avec « son port d’Amsterdam ». C’est loin d’être le cas aujourd’hui, s’il reste quelques bistrots qui ont gardé une appellation évoquant le monde de la mer ils sont vides. Plus de transatlantique avec des passagers, les cargos chargent et déchargent si rapidement que l’équipage reste à bord. C’est pas l’homme qui prend la mer c’est la mer qui prend l’homme.
L’atmosphère du port s’est dissipée au large, tant-pis, j’embarquerai demain avec des chansons marines dans la tête.
Cargo de nuit
Mais cette machine dans ma tête
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