Petit trait sur la carte : le canal de Panama

Chez moi, pas de mappe monde affichée, car aucune ne vaudra celle qu’il y avait sur le mur de l’école élémentaire avec ses quatre couleurs, mers et grands fleuve en bleu, montagne en marron, désert en jaune, grandes plaines en verts et les annotations en rouge. Si la leçon de l’instituteur ne captivait plus mon esprit, il s’envolait  et se posait dans les plaines de Russie, les grands fleuves américain, et surtout un petit trait bleu annoté en rouge : canal de Panama. Déjà dans mes réflexions c’était  une bizarrerie géographique  cet  isthme de Panama, une mince terre retenait la partie nord à la partie sud, et l’homme avait profité de cette curiosité pour y creuser un canal reliant les deux plus grandes couleurs  de la carte, les océans Pacifique et Atlantique. Un jour j’irais là-bas.  « Les voyages c’est pas pour nous » répondaient les adultes de la famille, nous c’était les ouvriers.  Puis j’ai quitté la Lorraine et je suis arrivé à Paris quelques années après la construction de l’aéroport Charles de Gaulle. Le transport aérien s’envolait littéralement, tout le monde pouvait prendre l’avion. Si tout le monde pouvait le faire alors les ouvriers aussi, depuis j’ai embarqué  vers toutes les couleurs de cette carte,  comme dans mes rêves de mauvais élèves, mais en vrai.

Je suis monté dans le phrare : plein de chauve souris

Le lac alimentant les écluses

Et ce petit trait bleu je ne l’ai pas oublié, me revoici assis sur une grosse motte de terre à attendre le passage des bateaux. Derrière moi un haut mur vert, la jungle dense et bruyante, en bas de mon poste d’observation la route et l’unique voie de chemin de fer, puis le petit trait : le canal de Panama.  De mon poste de guet il doit faire 200 mètres de large, c’est le début de l’entonnoir déversant  le lac Gatún, le réservoir des écluses. Il est 9h00, il  fait chaud, il y a des fourmis, des moustiques, et même une biche qui sort de la forêt. J’attends quand même les bateaux,  on ne vient pas tous les jours ici à Gamboa  depuis l’école élémentaire du 54620.  Les fourmis ne me piquent pas  elles font ce que font toujours les fourmis, elles travaillent, les moustiques  si, tant pis je me gratterai, la biche est nerveuse, elle rentre et sort brusquement de la forêt. J’attends les bateaux.  Entre 35 et 40 par jour naviguent sur ce petit trait de 78 km, en 10 heures ils seront passé d’un océan à l’autre avec l’aide de trois écluses, du Pacifique à Atlantique : Miraflores et Pedro Miguel élèvent les bateaux à 26 m la dernière Gatún les redescend au niveau de l’Atlantique.  A chacun des passages 200 000 m3 d’eau douce du lac se mélangeront aux eaux salées. Les pluies le rempliront à partir de mai, en avril le niveau est bas.  5 % du commerce mondiale transite ici, une rente de deux milliards de dollars annuelle rentre dans les caisses du canal de Panama. Le canal partage socialement le pays en deux parties inégales : Le canal de Panama et le Panama du canal. Jusqu’en 2000 les USA étaient les patrons, ils ont grillagé la zone du canal sur une largeur de 10 km. Gamboa, mon poste de vigie d’où j’attends les bateaux, est un bel exemple de cette division, les belles demeures des anciens patrons se juxtaposent aux  barrios  de service. Encore eux ces américains ! Oui mais de la faute des français et de l’entêtement de Ferdinand de Lesseps, vainqueur du canal de Suez mais gros perdant ici. Le désert égyptien et la jungle tropicale sont des contraires. Ce grand monsieur a mis en avant sa notoriété pour imposer le creusement d’un canal à niveaux malgré l’avertissement des ingénieurs qui préconisaient l’utilisation d’écluses plus appropriée à ce défi, une erreur. Une minuscule bestiole, un grand fléau, le moustique et les fièvres tropicales provoqueront la mort de milliers de personnes parmi les ouvriers , les cadres et leurs familles.  9h30, J’attends les bateaux les moustiques sont toujours là  à m’agacer, sans les fièvres.

 En 1881 Des milliers de travailleurs  ont débarqués ici, ils ont creusé le canal, ils ont creusé 22 000 tombes, ils ont creusé un déficit causant un énorme scandale. 1884  le projet français est coulé. De Lesseps comprend  enfin que sans écluses pas de canal, les ingénieurs Eiffel, Godin de Lépinay et Bunau Varilla avaient vu juste. Trop tard, 1889 deuxième faillite.  L’ingénieur Bunau Varilla, drôle de type, complote et convainc les américains de racheter le projet, en 1902. En 1914 le bateau US Ancon inaugure officiellement le petit trait sur la carte, officiellement car avant lui Bunau Varilla en compagnie d’ingénieurs français aurait fait une traversée en guise de pré-inauguration à bord du vapeur Cristobal.  Ce petit trait sur la carte à une longue histoire mais depuis 1 heures j’attends les bateaux, plus le temps à perdre le premier est en vue, il arrive  coté Pacifique : MSC nuria c’est un porte-conteneur. Accompagné de ses pilotes, il avance doucement, silencieusement, lourdement.  Depuis  ma nacelle naturelle  je le vois négocier son virage et prendre son chemin guidé par la bouée 99. Son parcours  doit être précis, s’il sort du chenal il va racler le fond. Après cette courbe, il avance à l’allure d’un bon marcheur, le MSC nuria disparait  derrière le feuillage touffu de ma planque.

Quelques minutes plus tard, dans l’autre sens le Mermaid Ace se présente, c’est un transporteur de voitures, un énorme garage flottant. Au ralenti son moteur bat à peu près au même rythme que mon cœur, poum poum poum soixante pulsations minutes, il est si prés que je pourrais sentir son pouls, tout est OK. Poussé par son pilote il glisse devant moi à peine posé sur l’eau. Je suis vraiment d’être content d’être là,  dans la carte de l’école élémentaire, sur le petit trait.   C’est à ce moment que la biche un peu follingue  surgit du bois et me fonce dessus,  je l’évite, la chasse, jolie animal mais cette vilaine  m’a sortie de mon rêve.

Les fiches des bateaux trouvées sur le net.

mermaid_ACE

MSC_nuria

Comments

[Pat]

Cc Géraldo toujours aussi sympa de relire ton blog.. Nous y sommes mais raconté par toi ça n'a pas de prix merci